En
août 1914, Wilhelm de Kostrowitzky avait déjà été reconnu comme un grand poète,
critique littéraire et critique d’art par ses pairs, sous le nom de plume de
Guillaume Apollinaire. Très patriote (la France était « le plus beau pays du monde ») et
soucieux de reconnaissance sociale, le poète décida de s’engager dans l’armée
française dès le 5 août 1914 afin d’obtenir la citoyenneté française par
naturalisation. En effet, il était Polonais mais sujet russe et il avait
souffert de son origine étrangère en 1911 lorsque la justice l’avait accusé du
vol de statuettes au Louvre : certains journaux se déchaînèrent contre cet
« étranger voleur », qui était totalement innocent de ce crime !
Malgré le non-lieu, Apollinaire voulait obtenir sa naturalisation et il remplit
une fiche pour rejoindre l’armée française mais celle-ci, débordée, n’avait que
faire de cet « homme de lettres » qui affirmait être bon marcheur,
parler italien et allemand, et qui connaissait bien les régions rhénanes :
il n’avait pas de qualification particulière qui pouvait intéresser l’armée.
Fiche de renseignements militaires remplie par Apollinaire |
Apollinaire
renouvela son engagement le 4 décembre 1914, à Nîmes, afin aussi d’impressionner Louise de Coligny – Châtillon (« Lou »), qu'il venait de rencontrer, avec son uniforme.
Cette fois, son engagement pour la durée de la guerre avec demande de
naturalisation fut accepté, sans doute en raison des pertes subies par l'armée française, et le poète se retrouva dans une caserne de la ville
au 38ème Régiment d’Artillerie.
On peut noter que le poète, de nationalité russe et sujet polonais, servit dans un régiment français et non dans la Légion Etrangère en raison de cette demande de naturalisation (démarche effectuée auprès du Garde des Sceaux dès le 26 août 1914), associée à son engagement, comme le montre sa lettre du 18 septembre 1915 adressée à l'avocat José Théry (voir le site Bibliorare, lot n° 7). Dans cette lettre, Guillaume Apollinaire indiquait à son avocat que le fait d'être un enfant naturel, non reconnu par sa mère, compliquait les démarches et qu'il ne fallait pas trop insister sur ce point pour la naturalisation car il voulait rester dans un régiment français.
On peut noter que le poète, de nationalité russe et sujet polonais, servit dans un régiment français et non dans la Légion Etrangère en raison de cette demande de naturalisation (démarche effectuée auprès du Garde des Sceaux dès le 26 août 1914), associée à son engagement, comme le montre sa lettre du 18 septembre 1915 adressée à l'avocat José Théry (voir le site Bibliorare, lot n° 7). Dans cette lettre, Guillaume Apollinaire indiquait à son avocat que le fait d'être un enfant naturel, non reconnu par sa mère, compliquait les démarches et qu'il ne fallait pas trop insister sur ce point pour la naturalisation car il voulait rester dans un régiment français.
Apollinaire,
par ses lettres et ses poèmes, a donné un récit remarquable de la Grande
Guerre, vue par un poète original et moderne.
Apollinaire vu par Picasso |
Guillaume Apollinaire après son engagement |
Première
partie de l’étude.
Un
diaporama permet notamment de présenter la caserne, les manuels militaires
(le Manuel du gradé de l'artillerie légère, datant de 1915, téléchargé depuis le site Gallica de la BnF, plus un autre exemplaire, de 1934 d'une collection particulière), le canon de 75 et son attelage, l’uniforme
d’artilleur et ses armes en 1914-15 puis à l’été 1915 (casque et tenue bleu
horizon), des photos et des dessins du poète artilleur avec une fiche
biographique d’Apollinaire et la chronologie de ses déplacements.
Cette
période dans l’armée influença profondément la poésie d’Apollinaire qui peut
être éclairée grâce aux manuels d’artillerie, aux canevas de tir et au matériel
qu’il dut utiliser. Les renseignements que l’on peut en tirer expliquent
certains poèmes parfois obscurs. Le
poète se montra un artilleur très sérieux et travailleur, passant même avec
succès les concours d’officier, mais en
vain, les promotions se gagnant seulement sur le champ de bataille et non dans
une caserne. Néanmoins, Apollinaire fit très rapidement le lien entre la poésie et son enseignement militaire comme il le raconte dans sa lettre à Lou du 7 janvier 1915:
"Ce matin il a fallu que j'explique au tableau les différentes mesures angulaires, puis que je parle des trajectoires, puis du problème du défilement. Tu vois si je deviens calé. D'ailleurs c'est intéressant. Le projectile est un petit astre dont il s'agit de connaître la vie, les propriétés afin de le diriger au but. C'est évidemment très poétique et tu le comprends sans faire d'artillerie."
"Ce matin il a fallu que j'explique au tableau les différentes mesures angulaires, puis que je parle des trajectoires, puis du problème du défilement. Tu vois si je deviens calé. D'ailleurs c'est intéressant. Le projectile est un petit astre dont il s'agit de connaître la vie, les propriétés afin de le diriger au but. C'est évidemment très poétique et tu le comprends sans faire d'artillerie."
Le canon de 75 (Fort de la Pompelle) |
Artilleurs en action (Exposition de Nancy, 2008) |
Une batterie de 75 en position de tir (Fort de la Pompelle mars 2018) |
Apollinaire apprit à se servir de matériel et d’armes qu’il mentionne dans les lettres envoyées à ses correspondants comme André Billy ou à Lou : le mousqueton Berthier modèle 1892, le pistolet modèle 1874 et le sabre. Il revêtit aussi un uniforme bleu sombre. C’est dans cette tenue qu’il se fit photographier et qu’il est représenté par Pablo Picasso. Il apprit aussi le maniement complexe des attelages hippomobiles, des pièces de 75 (et aussi de 90, un modèle plus ancien qui servait à l'instruction), ainsi que l’équitation lors de sa formation.
La caserne du 38ème RA à Nîmes |
Un canon de 90 modèle Bange identique à celui utilisé par Apollinaire lors de son instruction (Musée de l'Histoire du Fer de Jarville). |
Partie avant de l'attelage d'artillerie ou voiture-caisson (Fort de la Pompelle). On voit la case d'armons sous le siège des conducteurs. |
Enfin,
son régiment partit pour la Champagne et Apollinaire, alors
canonnier-conducteur, arriva à Beaumont-sur-Vesle, près de Reims, le 6 avril
1915. Apollinaire se retrouva près du canal de la Marne, dans un bois marécageux dans lequel il construisit une cabane et des abris. Attaché à la 6ème pièce de la 45ème batterie, il
devint brigadier et agent de liaison chargé de porter des messages aux
différents éléments de son régiment et à l’infanterie, en s’y rendant à cheval; il fut aussi brigadier - fourrier.
Plus tard, le 25 août 1915, il devint maréchal des logis observateur aux
lueurs : il devait repérer les emplacements des canons ennemis et calculer
leur distance en chronométrant le temps écoulé entre la lueur du tir et
l’explosion de l’obus. Il fut fasciné à la fois par le paysage dévasté et par
le spectacle des explosions et par les fusées éclairantes, blanches pour
éclairer le No Man’s Land la nuit, vertes ou rouges pour régler les tirs des
canons, lancées par les soldats. Dès son arrivée à Beaumont-sur-Vesle, Apollinaire fut fasciné par les bombardements comme le montrent les deux lettres écrites à Lou le 8 avril 1915:
"Mon Lou, la voix des obus est un véritable miaulement, ils miaulent comme des chats amoureux. C'est fantastique."
"La bataille commence dans la nuit, je ne sais où, mais pas loin et je l'entends distinctement, interrompue. On dirait que le diable fait moudre son café. C'est fantastique, avec les lueurs des obus qui miaulent et éclatent comme si c'était quelque grand roi qui donnerait un feu d'artifice en l'honneur de ta beauté."
Le 1er septembre 1915, il fut promu chef de pièce (la 4ème de la batterie qui en comportait six) et il participa à la grande offensive de Champagne (qui débuta à partir du 25 septembre) en tirant sur les positions allemandes dès le 22 du mois. Son régiment avait quitté Beaumont-sur-Vesle et était alors positionné depuis le 28 juin 1915 dans le secteur des Hurlus (avec trois villages, Perthes-lès-Hurlus, Les Hurlus, Le Mesnil-lès-Hurlus, proches de la ligne de front), à la cote 146, à 1500 mètres au nord-ouest de Laval-sur-Tourbe (voir carte, avec le point marqué 146 au sud de l'ancienne Chaussée Romaine). La cote 146 était une colline (d'une altitude de 146 mètres...) dont le contrebas, vers le nord, donnait sur un ravin où s'abritaient les artilleurs (ce ravin est indiqué par des hachures noires sur la carte).
Apollinaire, dans les lettres écrites à Lou ou à Madeleine Pagès, décrit les randonnées qu'il faisait dans les villages détruits, comme observateur aux lueurs, en évoquant les ruines ainsi que la cloche tombée au sol dans l'église du Mesnil-lès-Hurlus (voir les cartes postales de l'époque, plus bas). Il ramassa même des fragments de vitraux comme souvenirs.
Le 8 novembre 1915, le 38ème R.A. partit pour le Trou Bricot, plus à l’Ouest et Apollinaire demanda peu après son transfert dans l’infanterie le 18 novembre 1915 afin de devenir officier avec le grade de sous-lieutenant à titre temporaire, ce qui lui fut accordé (voir sa nomination plus bas). En effet, il en avait assez de n'être que sous-officier et être officier donnait plus de prestige même si Apollinaire était conscient des risques plus grands qu'il devrait assumer.
"Mon Lou, la voix des obus est un véritable miaulement, ils miaulent comme des chats amoureux. C'est fantastique."
"La bataille commence dans la nuit, je ne sais où, mais pas loin et je l'entends distinctement, interrompue. On dirait que le diable fait moudre son café. C'est fantastique, avec les lueurs des obus qui miaulent et éclatent comme si c'était quelque grand roi qui donnerait un feu d'artifice en l'honneur de ta beauté."
Beaumont-sur-Vesle, au sud-est de Reims, avec le canal de la Marne à l'Aisne |
Le 1er septembre 1915, il fut promu chef de pièce (la 4ème de la batterie qui en comportait six) et il participa à la grande offensive de Champagne (qui débuta à partir du 25 septembre) en tirant sur les positions allemandes dès le 22 du mois. Son régiment avait quitté Beaumont-sur-Vesle et était alors positionné depuis le 28 juin 1915 dans le secteur des Hurlus (avec trois villages, Perthes-lès-Hurlus, Les Hurlus, Le Mesnil-lès-Hurlus, proches de la ligne de front), à la cote 146, à 1500 mètres au nord-ouest de Laval-sur-Tourbe (voir carte, avec le point marqué 146 au sud de l'ancienne Chaussée Romaine). La cote 146 était une colline (d'une altitude de 146 mètres...) dont le contrebas, vers le nord, donnait sur un ravin où s'abritaient les artilleurs (ce ravin est indiqué par des hachures noires sur la carte).
Apollinaire, dans les lettres écrites à Lou ou à Madeleine Pagès, décrit les randonnées qu'il faisait dans les villages détruits, comme observateur aux lueurs, en évoquant les ruines ainsi que la cloche tombée au sol dans l'église du Mesnil-lès-Hurlus (voir les cartes postales de l'époque, plus bas). Il ramassa même des fragments de vitraux comme souvenirs.
Le 8 novembre 1915, le 38ème R.A. partit pour le Trou Bricot, plus à l’Ouest et Apollinaire demanda peu après son transfert dans l’infanterie le 18 novembre 1915 afin de devenir officier avec le grade de sous-lieutenant à titre temporaire, ce qui lui fut accordé (voir sa nomination plus bas). En effet, il en avait assez de n'être que sous-officier et être officier donnait plus de prestige même si Apollinaire était conscient des risques plus grands qu'il devrait assumer.
Le secteur des Hurlus et la cote 146 (N.-O. de Laval-sur-Tourbe) |
Un bombardement en Champagne en 1915 |
C’est avec ce
grade de sous-lieutenant qu’il rejoignit le 96ème Régiment d’Infanterie au Trou Bricot
puis il fut envoyé, plus au nord, à l’Arbre de la Cote 193, et enfin à la Tranchée de Hambourg (près du Trou Bricot) en décembre 1915, avant de partir pour l’Aisne, aux Bois des
Buttes entre Pontavert et la Ville-aux-Bois, près du Chemin des Dames.
Dans le secteur du Bois des Buttes, les tranchées françaises étaient mal construites, sans protection ou abri, et soumises à de violents bombardements. C’est là, alors qu'il lisait le Mercure de France, qu’il fut grièvement blessé par un éclat d’obus de 150 qui transperça son casque au niveau de la tempe droite le 17 mars 1916. Apollinaire, qui était devenu Français par décret le 9 mars 1916, fut évacué et ne revit jamais le front.
Ordre de transfert du maréchal des logis Kostrowitzky du 38ème RA au 96ème RI, comme chef de section. Bureau du personnel du GQG, le 18 novembre 1915. |
Dans le secteur du Bois des Buttes, les tranchées françaises étaient mal construites, sans protection ou abri, et soumises à de violents bombardements. C’est là, alors qu'il lisait le Mercure de France, qu’il fut grièvement blessé par un éclat d’obus de 150 qui transperça son casque au niveau de la tempe droite le 17 mars 1916. Apollinaire, qui était devenu Français par décret le 9 mars 1916, fut évacué et ne revit jamais le front.
La cantine militaire d'Apollinaire - sous-lieutenant Kostrowitzky 96è RI (BHVP 2010) |
Casque d'artilleur de Guillaume Apollinaire, percé au Bois des Buttes (BHVP 2010) |
Un impact important sur la tempe droite... |
Deux autres vues : l'insigne de l'artillerie et l'arrière du casque du poète (BHVP 2010). |
Sur cette photo ancienne de l'appartement du 202 Boulevard saint Germain à Paris, on voit 3 képis et un calot portés par Apollinaire. |
La convalescence du poète fut longue et douloureuse car Apollinaire passa d'hôpital en hôpital sans être sérieusement examiné: les docteurs pensaient d'abord à une blessure sans gravité alors que l'éclat d'obus avait enfoncé l'os temporal ! La plaie n'était pas bien désinfectée. La santé du poète se dégrada donc peu à peu avec des maux de tête, des sensations de chute à travers les plafonds et un état de prostration même si l'infirmière nota que le blessé était "calme, patient et très aimable". Après sa trépanation en mai 1916, opération nécessaire en raison des étourdissements, d'une perte de connaissance dans la rue et d'un début de paralysie du bras gauche lié à un abcès sous-dural, Apollinaire porta une protection crânienne composée d'une plaque métallique et de sangles de cuir. Pourtant, ce fut la grippe espagnole qui mit fin à ses jours le 9 novembre 1918. Il avait eu néanmoins le temps de publier Calligrammes et de se marier au cours de cette année 1918.
Le dossier médical de Guillaume Apollinaire (Hôpital Italien de Paris) |
Apollinaire après sa trépanation. |
La plaque de protection de Guillaume Apollinaire (BHVP 2010) |
Tombe de Guillaume Apollinaire au Père Lachaise (2010) |
Deuxième
partie de l’étude.
Le
travail avec les élèves de Littérature et Société a d’abord porté sur les lieux
du Front de Champagne avec la construction d’un panorama pliable dont le
titre a été « Champagne 1915 »:
-
Une carte du front en septembre 1915, tirée de l’Illustration, en partie
centrale, permet de localiser les 3 villages des Hurlus, le Trou Bricot,
l’Arbre de la Cote 193 qui ont été surlignés.
-
Trois feuilles ont été attachées à cette carte, avec charnières en ruban
adhésif, afin de visualiser les lieux parcourus par Apollinaire, grâce à des cartes postales
anciennes : les villages détruits des Hurlus, de Perthes-les-Hurlus,
Mesnil-les-Hurlus, le Trou Bricot plus (en option) une photo de l’Arbre de la cote 193.
Chaque carte postale a été reliée avec un trait à la carte centrale et les dates importantes
ont été notées.
Apollinaire décrit cette église en ruine dans une de ses lettres, avec la cloche au sol. |
-
Une quatrième feuille a permis de coller des photos du secteur des Hurlus en 1915 (tranchée des Entonnoirs et boyau des Hurlus) avec
les tranchées dans lesquelles les soldats observent l’ennemi au périscope, un
abri d’artillerie, un abri pour les soldats, avec pare-éclats.
-
Une série de photos, tirées de l’Illustration du 30 octobre 1915, ont été
réunies afin de créer un panorama montrant le champ de bataille de Champagne,
de Souain à la Main de Massiges. On peut les placer en arc de cercle sur la
carte de la feuille centrale. La première photo, présentée ci-dessous, montre le secteur du Trou Bricot, la tranchée de Hambourg au centre, et son prolongement, la tranchée d'York: c'est exactement dans ce secteur que se trouvait Apollinaire en novembre 1915 ! Avec ce paysage ondulé et parsemé de chevaux de frise et de parapets blancs (les tranchées étaient creusées dans la craie) créant de longues lignes sinueuses, on comprend mieux la description du champ de bataille faite par Apollinaire: un "océan de terre" dont les "tranchées aux lèvres blanches" formeraient les vagues et l'écume, et où vivaient les soldats semblables à des poulpes en raison de leurs masques-tampons ou masques-cagoules (voir plus bas).
Cette série de cartes postales anciennes et de cartes permettent donc de reconstituer le paysage vu par Apollinaire, dont les lettres comportent des descriptions correspondant exactement aux images.
Les élèves ont souligné et décrit la dureté des conditions de vie (inconfort, saleté, dangers) et l’aspect dévasté du paysage du Front de Champagne en 1915 avec ses villages détruits, ses tranchées blanches à cause de la craie, les barbelés et chevaux de frise, avec, au fond, des plateaux ondulés parsemés de sapins. Néanmoins, en 1915, la végétation restait encore abondante car l'artillerie ne l'avait pas totalement rasée comme ce sera le cas après 1916.
Troisième
partie de l’étude.
-
Des lettres d’Apollinaire à André Billy et à Lou ont été lues : celle
décrivant son abri (et qui ressemble au poème Le palais du tonnerre) avec les armes et objets dont disposait le
poète-artilleur, celles décrivant son travail d’agent de liaison à cheval et
d’observateur aux lueurs. Les élèves ont retrouvé les équipements de
l’artilleur français de 14-18, évoqués par un diaporama projeté sur écran.
-
Des objets (inoffensifs) ont été présentés aux élèves qui ont pu les manipuler :
un obus neutralisé de 37 mm avec ses trois parties (douille, obus, fusée
d’ogive), une fusée d’ogive allemande HZ 14 équipant les obus de 150, une fusée
française de 75, des éclats d’obus, du shrapnel, un culot d’obus de 77, un casque Adrian qui
a été comparé avec celui d’Apollinaire dont la photo (visite de la Bibliothèque
Historique de la Ville de Paris en 2010) a été projetée.
Obus français de 37 mm |
-
De l’artisanat de tranchée a été alors montré aux élèves : encrier fait
dans une fusée de 150, pyrogènes fabriqués dans des fusées de 75, coupe papier
réalisé avec la ceinture de cuivre de l’obus, douille ciselée, bague en
aluminium. Les élèves ont fait le lien entre les munitions présentées
précédemment et une forme d’art originale apparentée au « Ready Made » et au surréalisme. Un extrait d’une lettre
d’Apollinaire évoquant les bagues en aluminium, fabriquées par les soldats à
partir de fusées d’ogive, a été lu et la bague offerte à Lou, vendue récemment chez Sotheby's, a été présentée sur écran.
Une fusée d'ogive de 150 et sa transformation en encrier |
Douilles d'obus transformées en vases |
Objets de l'artisanat de tranchée |
Quatrième
partie : la poésie influencée par la guerre avec Case d’Armons et
Calligrammes.
Apollinaire,
avec l’aide de deux autres artilleurs de son régiment, a réalisé un ouvrage, Case d’Armons,
publié le 17 juin 1915 alors que le 38ème R.A. était encore à
Beaumont-sur-Vesle. Il s’agissait de publier des poèmes composés pour Lou ou
Madeleine Pagès et d’avoir un peu d’argent pour les blessés de guerre du
régiment. Tiré à 25 exemplaires, le livre est une curiosité dont les
particularités peuvent être soulignées grâce aux manuels d’artillerie:
Apollinaire a utilisé un papier militaire quadrillé utilisé pour les rapports
et les relevés topographiques pour publier 21 poèmes grâce à une machine
stencil. La qualité de l’impression étant médiocre, Apollinaire a repassé à la
plume et à l’encre les vers trop pâles (c'est ce que l'on appelle des rehauts). Les feuilles sont collées grâce à un
journal militaire qui sert de tranche (soit le Bulletin des Armées ou le
Tranchman’Echo, le journal du 38ème R.A.) et insérées dans une
couverture cartonnée bleue. Un collage donne le titre de l’œuvre avec des
dessins se rapportant à l’artillerie. Apollinaire a aussi dédicacé chaque
exemplaire en rajoutant parfois quelques mots; chaque exemplaire est donc
unique.
a)
Le manuel d’artillerie, un ouvrage utile pour comprendre Apollinaire.
Le
titre d’abord, Case d’Armons. Un
schéma du manuel d’artillerie montre ce que c’est : une partie de la voiture-caisson du canon de 75, plus précisément un espace situé à l'avant de ce "chariot d'attelage", sous le siège des canonniers-conducteurs, formant une sorte de "caisse" sous les pieds de ces canonniers-conducteurs et contenant
leurs affaires personnelles. Le mot, rare et étrange, a dû plaire à
Apollinaire lors de son installation en Champagne…
Ensuite
les dessins. De « petits bonshommes » sont placés sur la première
page, sous « Aux armées de la République » et sur les pages
suivantes. Simple fantaisie du poète ? Non, il s’agit de signaux optiques
d’artillerie indiquant des chiffres et que l’on trouve dans une page du manuel
d’artillerie, le soldat (qui devait placer ses bras d’une certaine façon) étant
schématisé sous la forme d’une silhouette. Apollinaire a repris cette planche
du manuel d’artillerie pour indiquer la date de publication, 1915, et numéroter
les premiers poèmes.
Les signaux d'artillerie |
La première page de Case d'Armons |
De
même, on trouve un message en morse à la fin du poème intitulé Reconnaissance. C’était un code utilisé
par les artilleurs pour transmettre leurs ordres et que l’on trouve aussi dans
le manuel. Le sens des lettres n'est pas facile à comprendre; certaines doubles lettres signifiant un ordre (TT = "tirez"; MM = "à gauche" etc).
Il y a ensuite de nombreux dessins (cœur, swastika etc) qui mériteraient une étude mais qui n’ont pas forcément un rapport avec la guerre, mais on peut souligner que le swastika était une figure assez populaire parmi les soldats de la Grande Guerre et qu'il était considéré comme un porte-bonheur (on a retrouvé des médaillons de cette forme; les soldats allemands le peignaient sur leur casque). On reconnait toutefois des canons, des roues de l’attelage, des explosions et l’emblème des artilleurs (deux canons croisés surmontés d’une grenade).
On peut aussi souligner qu'Apollinaire envoya en 1915 sept poèmes manuscrits à Marie Laurencin, dont L'adieu du cavalier, sous la forme d'une petite plaquette artisanale nommée Le médaillon toujours fermé, reliée avec un ruban de soie et comprenant aussi un journal militaire, le Bulletin des Armées. Ces poèmes furent aussi repris dans Calligrammes.
Il y a ensuite de nombreux dessins (cœur, swastika etc) qui mériteraient une étude mais qui n’ont pas forcément un rapport avec la guerre, mais on peut souligner que le swastika était une figure assez populaire parmi les soldats de la Grande Guerre et qu'il était considéré comme un porte-bonheur (on a retrouvé des médaillons de cette forme; les soldats allemands le peignaient sur leur casque). On reconnait toutefois des canons, des roues de l’attelage, des explosions et l’emblème des artilleurs (deux canons croisés surmontés d’une grenade).
On peut aussi souligner qu'Apollinaire envoya en 1915 sept poèmes manuscrits à Marie Laurencin, dont L'adieu du cavalier, sous la forme d'une petite plaquette artisanale nommée Le médaillon toujours fermé, reliée avec un ruban de soie et comprenant aussi un journal militaire, le Bulletin des Armées. Ces poèmes furent aussi repris dans Calligrammes.
b)
Les calligrammes.
On
trouve ensuite les premiers calligrammes. En avril 1918, le poète regroupa tous
les poèmes composés entre 1913 et 1916 dans le célèbre recueil Calligrammes, avec plusieurs
modifications. Apollinaire avait expérimenté ce type de poème dès l’été 1914
avec Lettre-Océan. Dans Case d’Armons,
Apollinaire évoque la guerre de façon visuelle avec plusieurs poèmes, notamment
Visée. Ce poème, dont le titre évoque l'opération par laquelle l'artilleur "fixait" l'objectif à atteindre avec ses instruments, prend l’aspect de
courbes de tir que les canonniers devaient apprendre dans leur manuel et qui
permettaient de calculer la trajectoire des obus, selon un angle précis
compensé par la courbe liée à la gravité, avec l’aide d’un niveau de forme
triangulaire et de compas comprenant une table graduée afin de faciliter le
calcul de l’angle. Il y a aussi une allusion à l'équitation (ou à l'hippologie) avec les "chevaux couleur cerise", évocation de la robe particulière des chevaux de son unité qui devaient tirer les canons (on dit un cheval bai cerise ou simplement cerise).
Un niveau d'artillerie (Fort de la Pompelle) |
Niveau de tir dans le manuel d'artillerie |
Calcul des courbes de tir |
Table de calcul |
Dans SP (acronyme pour Secteur Postal, code militaire utilisé pour l’envoi du courrier par les familles des soldats qui ne devaient pas dévoiler l’endroit dans lequel ils se trouvaient), on voit un canon monté sur un socle (l'aspect du canon est plus visible dans Case d'Armons). Sans doute est-ce un 75 utilisé comme canon de DCA (il était alors monté sur un socle en bois pour le surélever et avoir un angle plus grand). Apollinaire évoque aussi, sous une forme humoristique, le perruquier, qui était le coiffeur - barbier de l'unité et joue sur le mot canon de perruque, qui devient perruque à canon. Mais le poème décrit principalement les masques-tampons utilisés par les Français pour se protéger des gaz, composés de lunettes et d'un tampon blanc sur lequel il fallait verser un produit neutralisant (théoriquement) les effets toxiques.
Apollinaire (pointeur à gauche) avec un canon de 75 |
On retrouve la forme du canon dans le poème 2ème Canonnier-Conducteur qui
décrit l’attelage hippomobile et son équipage, ainsi que dans les Poèmes à Lou.
Dans
Saillant et Echelon, les poèmes semblent s'organiser comme un bivouac formé par les
artilleurs selon les prescriptions de leur manuel qui en donne le modèle: chevaux au centre et batteries sur les côtés. Ces deux poèmes comportent une partie centrale avec des vers écrits horizontalement et des parties latérales avec des vers écrits verticalement.
Echelon de Guillaume Apollinaire |
Saillant de Guillaume Apollinaire |
La formation du bivouac. |
On
retrouve aussi une véritable odonymie, liée à la topographie du Front de Champagne. Nous avons retenu les principaux lieux mentionnés dans la correspondance et les poèmes, en mettant de côté ceux simplement évoqués lors des étapes et déplacements comme la Ferme du Piémont. De même, les déplacements dans les environs de Reims à partir de janvier 1916 n'ont pas été étudiés car liés aux déplacements du 96ème RI et sa montée vers le secteur de l'Aisne.
Avec l’évocation de la Cote 146 près du secteur des Hurlus, Apollinaire mentionne plusieurs lieux du front dont il avait la carte (ou canevas de tir) sous les yeux et qu’il avait parcouru à cheval comme agent de liaison:
Avec l’évocation de la Cote 146 près du secteur des Hurlus, Apollinaire mentionne plusieurs lieux du front dont il avait la carte (ou canevas de tir) sous les yeux et qu’il avait parcouru à cheval comme agent de liaison:
Dans
Du coton dans les oreilles, on note
la répétition du vers « Allô la truie ». Il s’agit d’une allusion au
bois de la Truie situé entre le Mesnil-les-Hurlus et la Butte du Mesnil (on
peut encore le situer avec Google Maps) derrière les tranchées françaises;
bois transformé par les Français en position fortifiée avec un réduit (une redoute) dans sa
partie ouest. Le poème relate la vie des soldats au milieu des explosions et
des tirs qui sont assourdissants (les ordres à la batterie sont donnés à l’aide
d’un mégaphone) et les communications téléphoniques passent mal et le
téléphoniste doit répéter « allô la truie » (cela a dû plaire à
Apollinaire…) pour contacter les soldats. On peut lire le poème en mettant
comme fond sonore les Croix de Bois
de Raymond Bernard (1932), notamment la scène de l’attaque avec les tirs
d’artillerie, afin de faire comprendre aux élèves l’ambiance sonore du front. Ensuite, le poème devient plus intime; le bruit diminue progressivement et le canon laisse place à la pluie qui tombe avec douceur, mais le téléphoniste, qui n'a toujours pas eu son contact, continue d'appeler "allô, la truie"...
Canevas de tir de 1915 avec le Bois de la Truie en bas de la carte et la Butte du Mesnil. Les traits rouges représentent les tranchées françaises, les bleus les allemandes |
Dans Désir, Apollinaire mentionne par deux fois la Butte du Mesnil, redoutable position entourée de nombreuses tranchées tenues par les Allemands et dont les Français, malgré des tirs d’artillerie gigantesques, ne purent s’emparer complètement en septembre 1915 (la butte ne fut prise qu’en septembre 1918). Dans la première version du poème, c'était la Butte de Tahure (autre position fortifiée, près du village éponyme, située au nord des Hurlus) qui était mentionnée à la place de celle du Mesnil. Mais Tahure ayant été pris par les coloniaux du général Marchand en septembre 1915, le poète a sans doute remplacé ce nom par une position qui constituait un nouvel objectif pour l'armée française et pour la batterie d'Apollinaire qui avait écrasée précédemment les tranchées du secteur de Tahure. Il mentionne aussi, de façon métaphorique, la Main de Massiges, plateau découpé situé à l’Est du Front de Champagne, ayant la forme d’une main posée à plat, et que les troupes coloniales prirent en septembre 1915. Un élève a noté la présence d’une position appelée « les Deux Mamelles » en face des Hurlus : peut-être ont-elles inspiré le titre Les mamelles de Tirésias ?
Parmi
les autres sites, on trouve aussi les boyaux de Goethe, de Nietzsche, et de Cologne
mentionnés dans Il y a et Désir. Ces tranchées existaient vraiment
comme on peut le voir sur la carte des positions allemandes publiées dans
l’Illustration (où l'on voit aussi la Tranchée de Hambourg, dernière position tenue par Apollinaire en Champagne, près du Trou Bricot). Encore visibles sur Google Maps, ces tranchées, situées entre Perthes-lès-Hurlus et Tahure, protégeaient la
route de Tahure, axe de progression de l’armée française en septembre 1915. La
45ème batterie du 38ème R.A. avait reçu l’ordre
d’anéantir ces positions comme le montre le Journal
des Marches et Opérations de la batterie, numérisé sur le site Mémoire des
Hommes, qui mentionne aussi la butte et le boyau de Tahure et les tranchées de Thorn et de
Constantinople plus la Brosse à Dents comme objectifs de la batterie. Des
centaines d’obus furent tirés par les 75 à partir du 22 septembre 1915,
anéantissant ces tranchées, et Apollinaire relate cela de façon précise dans ses poèmes.
La zone bombardée par la batterie d'Apollinaire se trouve dans le carré rouge; le Trou Bricot et l'Arbre de la cote 193 sont dans les carrés verts. |
JMO du 38ème RA qui mentionne les tranchées allemandes bombardées par la batterie de Guillaume Apollinaire |
Enfin,
le poète évoque aussi une ville de Moselle dans Venu de Dieuze,
sous la forme d’une rencontre entre un soldat permissionnaire qui retrouve la
zone des armées et un soldat territorial G.V.C. (garde des voies et
communications) à qui il doit donner le mot de passe « France ». Le
poème comprend de courtes partitions musicales comme si l’échange entre les
deux soldats était chanté.
La
description du front est aussi très riche avec la mention, dans Chant de l’horizon en Champagne, des soldats et de leur tenue
disparate au printemps 1915, l’ancien uniforme bleu de roi et garance côtoyant
l’uniforme de transition gris avec pantalon de velours côtelé marron à
passepoil jaune et le nouvel équipement bleu horizon :
« Animez-vous
fantassins à passepoil jaune
Grands artilleurs roux
comme des taupes
Bleu-de-roi comme les
golfes méditerranéens
Veloutés de toutes les
nuances du velours
Ou mauves encore ou
bleu-horizon comme les autres »
Soldats français en 1915 avec les différents types d'uniformes Exposition de Nancy 2008 |
Apollinaire
évoque un paysage ondulé (un Océan de
terre, titre d'un poème, où vivent des soldats semblables à des poulpes au bec blanc avec leur masque-tampon aux sangles pendantes), les tranchées "aux lèvres blanches ", semblables à la Grande Muraille de Chine "mais en creux" dans lesquelles s'écoulent des flots d'hommes et les abris creusés dans la craie qui
comprenait des boules de pyrite, et donc « qui semble en nougat » dans le Palais du Tonnerre, belle description de son abri soutenu par des
rondins et des rails. Les soldats donnaient des surnoms à leurs abris ou à leurs cabanes dans le Village Nègre : dans Du coton dans les oreilles, un panneau signale "les cénobites tranquilles" !
Le poète décrit aussi les barbelés et les hexaèdres barbelés (sorte de cadres métalliques constitués de gros fils barbelés que l’on voit sur la couverture de Case d’Armons), les chevaux de frise qui donnent leur nom à un poème, les pare-éclats (protections latérales de la tranchée creusées dans le parapet) qui, en raison de leur forme, lui font penser à des têtes d’éléphants (voir le dessin dans la lettre à Madeleine Pagès du 1er décembre 1915), les 75, les « obus couleur de lune » (c’est vrai, ils étaient gris !), les éclats métalliques qui parsèment le champ de bataille, les sentinelles qui observent les lignes adverses au périscope (en effet, rester au créneau est dangereux à cause des tireurs d’élite), les mouches et les rats, les espions, le Village Nègre (dans Echelon, avec les cabanes entourées d’animaux), qui est un village de huttes construit par les soldats en arrière des tranchées et qui ressemble à un village africain (et qui n’est donc pas habité forcément par des coloniaux). Certaines lettres, comme celle adressée à Lou le 16 avril 1915, sont de remarquables descriptions de la guerre de position, avec des restitutions sonores du sifflement des balles et des obus.
Guillaume Apollinaire fait allusion à de nombreux éléments liés au quotidien des soldats. Dans son poème "Un oiseau chante", il mentionne "tous les soldats d'un sou". En effet, les soldats français ne recevaient qu'une indemnité de 5 centimes par jour (soit un sou) jusqu'en octobre 1915 ! En bref, ils n'étaient pas payés ! Cela explique les nombreuses sollicitations financières ou les inquiétudes sur le revenu des ménages présentes dans les lettres des soldats. Finalement, cette indemnité fut portée à 25 centimes par jour en octobre 1915 ("les 5 sous du Poilu") ...
Dans son poème "Mutation", Apollinaire utilise les onomatopées "Eh ! Oh ! Ah !". Or, on trouve dans les carnets de guerre d'Edouard Coeurdevey une anecdote intéressante (page 548). Le 17 août 1916, alors qu'il était à Proyart dans la Somme, Edouard Coeurdevey voit passer des soldats près d'un cimetière:
" Voici un groupe de soldats. L'un deux chante d'une voix avinée : " Hop héha di ohé ! Hop héha di ohé ! Hop héha di ohé !". ... Ils arrivent à la hauteur des tombes récentes, en plein champ. Alors l'un deux dit au braillard : "Ferme ta gueule, on passe près des morts".
Peut-être Guillaume Apollinaire s'est-il inspiré d'une chanson de soldat composée d'onomatopées, pour rythmer la marche, pour composer son poème ?
Les gaz et la nécessité de porter un masque faisant ressembler le soldat à un poulpe (en raison des ouvertures rondes pour les yeux et des sangles, le "bec blanc" étant le masque-tampon utilisé à l'époque), sont aussi mentionnés plusieurs fois car Apollinaire avait été intoxiqué (avec étourdissement et brûlures) en mai 1915 par un nuage de gaz qui avait dérivé dans sa direction.
Dans les Soupirs du servant de Dakar, il exprime de façon magnifique les sentiments d’un canonnier africain plongé dans l’horreur de la guerre des tranchées : Apollinaire a vu de nombreuses troupes coloniales en Champagne, notamment celles qui prirent la Main de Massiges et Tahure (commandées d’ailleurs par le général Marchand, le héros de Fachoda, blessé lors de l’assaut); de plus, il existait un boyau de Dakar dans les environs de Souain, nom qui a pu inspirer le poète.
Le poète décrit aussi les barbelés et les hexaèdres barbelés (sorte de cadres métalliques constitués de gros fils barbelés que l’on voit sur la couverture de Case d’Armons), les chevaux de frise qui donnent leur nom à un poème, les pare-éclats (protections latérales de la tranchée creusées dans le parapet) qui, en raison de leur forme, lui font penser à des têtes d’éléphants (voir le dessin dans la lettre à Madeleine Pagès du 1er décembre 1915), les 75, les « obus couleur de lune » (c’est vrai, ils étaient gris !), les éclats métalliques qui parsèment le champ de bataille, les sentinelles qui observent les lignes adverses au périscope (en effet, rester au créneau est dangereux à cause des tireurs d’élite), les mouches et les rats, les espions, le Village Nègre (dans Echelon, avec les cabanes entourées d’animaux), qui est un village de huttes construit par les soldats en arrière des tranchées et qui ressemble à un village africain (et qui n’est donc pas habité forcément par des coloniaux). Certaines lettres, comme celle adressée à Lou le 16 avril 1915, sont de remarquables descriptions de la guerre de position, avec des restitutions sonores du sifflement des balles et des obus.
Guillaume Apollinaire fait allusion à de nombreux éléments liés au quotidien des soldats. Dans son poème "Un oiseau chante", il mentionne "tous les soldats d'un sou". En effet, les soldats français ne recevaient qu'une indemnité de 5 centimes par jour (soit un sou) jusqu'en octobre 1915 ! En bref, ils n'étaient pas payés ! Cela explique les nombreuses sollicitations financières ou les inquiétudes sur le revenu des ménages présentes dans les lettres des soldats. Finalement, cette indemnité fut portée à 25 centimes par jour en octobre 1915 ("les 5 sous du Poilu") ...
Dans son poème "Mutation", Apollinaire utilise les onomatopées "Eh ! Oh ! Ah !". Or, on trouve dans les carnets de guerre d'Edouard Coeurdevey une anecdote intéressante (page 548). Le 17 août 1916, alors qu'il était à Proyart dans la Somme, Edouard Coeurdevey voit passer des soldats près d'un cimetière:
" Voici un groupe de soldats. L'un deux chante d'une voix avinée : " Hop héha di ohé ! Hop héha di ohé ! Hop héha di ohé !". ... Ils arrivent à la hauteur des tombes récentes, en plein champ. Alors l'un deux dit au braillard : "Ferme ta gueule, on passe près des morts".
Peut-être Guillaume Apollinaire s'est-il inspiré d'une chanson de soldat composée d'onomatopées, pour rythmer la marche, pour composer son poème ?
Apollinaire dans le "village nègre" |
Les gaz et la nécessité de porter un masque faisant ressembler le soldat à un poulpe (en raison des ouvertures rondes pour les yeux et des sangles, le "bec blanc" étant le masque-tampon utilisé à l'époque), sont aussi mentionnés plusieurs fois car Apollinaire avait été intoxiqué (avec étourdissement et brûlures) en mai 1915 par un nuage de gaz qui avait dérivé dans sa direction.
Masque tampon et masque cagoule M 2 de 1915 (Nancy 2008) |
Artilleurs avec leurs masques à gaz. On remarquera les sangles pendantes qui peuvent évoquer des "tentacules". |
Dans les Soupirs du servant de Dakar, il exprime de façon magnifique les sentiments d’un canonnier africain plongé dans l’horreur de la guerre des tranchées : Apollinaire a vu de nombreuses troupes coloniales en Champagne, notamment celles qui prirent la Main de Massiges et Tahure (commandées d’ailleurs par le général Marchand, le héros de Fachoda, blessé lors de l’assaut); de plus, il existait un boyau de Dakar dans les environs de Souain, nom qui a pu inspirer le poète.
Le Bois du Triangle en Champagne en août 1915 avec les barbelés et hexaèdres |
Le canon de 75 et ses "obus couleur de lune" (La Pompelle) |
Parmi
les poèmes les plus représentatifs, on peut retenir Il y a. C’est le poème retenu pour être étudié par les élèves de
façon approfondie.
Ce poème accompagne une lettre adressée à Madeleine Pagès, datée du 30 septembre 1915, puis il fut repris et légèrement remanié dans Calligrammes. On y retrouve bien des aspects de la guerre de 14-18 mêlés avec le souvenir de la femme aimée ainsi que du demi-frère, Albert de Kostrowitzky parti travailler au Mexique malgré les troubles révolutionnaires survenus dans ce pays ("les femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico"). Le 30 septembre 1915, le poète se trouvait encore dans le secteur de la cote 146 et des Hurlus, officiant comme chef de pièce lors de la grande offensive de Champagne menée par l'armée française. Apollinaire, qui se trouve dans un abri situé près de son canon, dresse une liste de personnes, de sentiments, de paysages qui relève soit du visuel du poète soit de la rêverie. Cette énumération est composée de 30 vers libres, de longueur différente, dans la version éditée dans Calligrammes, et comprend l'utilisation d'une anaphore, "Il y a". La version de la lettre du 30 septembre 1915 est plus longue avec 35 vers libres dont les deux derniers ne comportent pas l'anaphore.
Le visuel d'Apollinaire concerne la guerre et le Front de Champagne, qui s'est embrasé depuis le 22 septembre 1915 avec la préparation d'artillerie, suivie le 25 septembre de l'offensive française.
Le poète aperçoit six saucisses ou ballons d’observation (Drachen en allemand) qui observent les lignes, semblables à des asticots aériens dont naîtraient les étoiles, un prisonnier allemand puis d’autres qui passent, le vaguemestre (le facteur de l’armée) qui apporte le courrier en venant par le chemin de l’Arbre Isolé. Quel est cet arbre ? Celui de la cote 193 ? Ou plutôt s'agissait-il d'un autre arbre du secteur des Hurlus servant de repère topographique: une carte d'époque mentionne un "arbre" situé au sud-est de la cote 146, près d'un chemin venant de Laval-sur-Tourbe depuis la cote 148 (l'arbre étant situé entre ce village et la cote 146). Il est logique de penser que le vaguemestre venait de ce côté, et non du nord du secteur.
Cette théorie est confirmée en 2018 par la découverte, en brocante, d'un canevas de tir concernant le secteur de Tahure, et comportant au verso, une carte des cheminements utilisés par les troupes françaises: à Laval-sur-Tourbe, le tracé du cheminement vers les premières lignes passe bien par l'emplacement de l'Arbre et la cote 146, selon un axe sud-est / nord-ouest.
Apollinaire voit aussi un soldat asphyxié par les gaz, des servants de batterie qui s'occupent de leur pièce, des soldats fabriquant des cercueils, des croix (les cimetières militaires étaient déjà bien remplis dans le secteur de Laval-sur-Tourbe), des Hindous mélancoliques. Pour ces derniers, c'est une allusion aux soldats coloniaux dont certains venaient des comptoirs français d’Inde, notamment de Chandernagor, et qui combattirent en Argonne et à Verdun en 1916, ou bien aux cipayes de l'armée des Indes qui combattaient avec les Anglais, mais leur présence n'est pas attestée en Champagne en 1915.
Il mentionne un espion qui se dissimulerait dans le secteur, dans un paysage de sapins déchiquetés. Il évoque aussi les boyaux allemands (ceux de Goethe, Nietzsche et Cologne) bombardés par sa batterie, et qui ont été hachés (allusion au bombardement du 24 septembre 1915 lorsque sa batterie tira 387 obus sur un secteur de 50 m sur 100 m de la Butte de Tahure) ainsi que l'art du camouflage car "on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité". Il s'agit donc d'une description de la guerre, avec les éléments que nous avons présentés plus haut.
Cette vue du front se mêle à la rêverie. Le poète observe les alentours de son abri, avec sa selle trempée par la pluie, tout en rêvant à Madeleine Pagès, son grand amour, qui habitait à Oran en Algérie et à son demi-frère Albert, alors à Mexico, éloignés de lui par l'océan Atlantique (avec le Gulf Stream) et la Méditerranée, espaces maritimes dans lesquels rôdent les sous-marins allemands, première menace contre les êtres aimés évoquée dans le texte. Le poète s'inquiétait de la présence des sous-marins allemands lorsque Madeleine se rendait en France; de même, le navire d’Apollinaire, qui partit en Algérie pour voir Madeleine Pagès à la fin de 1915, était escorté en raison de ces sous-marins.
L'autre menace présente dans le poème est la révolution mexicaine, avec les manifestations à Mexico, qui font allusion à l'entrée des troupes de Zapata et de Pancho Villa dans la ville en novembre 1914. Le poète, dans sa première lettre à Lou du 2 février 1915, écrite à Nîmes, s'inquiétait déjà de la rareté des nouvelles données par Albert, qui ne lui avait pas écrit depuis un mois et demi, ainsi que des troubles survenus au Mexique. Cette lettre montre aussi le profond attachement qui liait Guillaume Apollinaire à son demi-frère. Le Mexique, pays dans lequel travaillait Albert de Kostrowitzky et l'Algérie où vivait Madeleine Pagès se confondent dans le vers "Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie" (le figuier de barbarie étant aussi l'emblème de Mexico).
Néanmoins, cet éloignement est relatif car Guillaume Apollinaire était relié à Madeleine Pagès et à Albert par la T.S.F. (c’était déjà le sujet de Lettre-Océan en 1914) dont étaient équipés les navires et par le courrier. Le poète, dans son abri, attend une lettre, rêve aux mains de sa fiancée qu'il aime profondément et regarde des photos de celle-ci. Il mentionne aussi l’artisanat de tranchée avec « l’encrier que j’avais fait dans une fusée de 15 centimètres », encrier que la poste militaire refusait d'expédier en raison de son poids et qu'Apollinaire dut envoyer en plusieurs morceaux (voir les lettres à Madeleine Pagès des 25 septembre et 6 octobre 1915 notamment). La T.S.F., les photos et le courrier sont donc des liens entre lui et les êtres aimés, de même que l'encrier, cadeau destiné à Madeleine Pagès, à la fois marque d'affection et symbole de la guerre (il était composé d'une fusée d'ogive et d'un culot d'obus de 77).
C’est donc tout l’univers du front de Champagne et l’expérience combattante d’Apollinaire qui transparaissent avec ce poème avec l’amour porté à Madeleine Pagès et l'affection pour son demi-frère Albert.
Un commentaire du poème Il y a
Ce poème accompagne une lettre adressée à Madeleine Pagès, datée du 30 septembre 1915, puis il fut repris et légèrement remanié dans Calligrammes. On y retrouve bien des aspects de la guerre de 14-18 mêlés avec le souvenir de la femme aimée ainsi que du demi-frère, Albert de Kostrowitzky parti travailler au Mexique malgré les troubles révolutionnaires survenus dans ce pays ("les femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico"). Le 30 septembre 1915, le poète se trouvait encore dans le secteur de la cote 146 et des Hurlus, officiant comme chef de pièce lors de la grande offensive de Champagne menée par l'armée française. Apollinaire, qui se trouve dans un abri situé près de son canon, dresse une liste de personnes, de sentiments, de paysages qui relève soit du visuel du poète soit de la rêverie. Cette énumération est composée de 30 vers libres, de longueur différente, dans la version éditée dans Calligrammes, et comprend l'utilisation d'une anaphore, "Il y a". La version de la lettre du 30 septembre 1915 est plus longue avec 35 vers libres dont les deux derniers ne comportent pas l'anaphore.
Le visuel d'Apollinaire concerne la guerre et le Front de Champagne, qui s'est embrasé depuis le 22 septembre 1915 avec la préparation d'artillerie, suivie le 25 septembre de l'offensive française.
"Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète". Carte postale française. Collection particulière. |
Le poète aperçoit six saucisses ou ballons d’observation (Drachen en allemand) qui observent les lignes, semblables à des asticots aériens dont naîtraient les étoiles, un prisonnier allemand puis d’autres qui passent, le vaguemestre (le facteur de l’armée) qui apporte le courrier en venant par le chemin de l’Arbre Isolé. Quel est cet arbre ? Celui de la cote 193 ? Ou plutôt s'agissait-il d'un autre arbre du secteur des Hurlus servant de repère topographique: une carte d'époque mentionne un "arbre" situé au sud-est de la cote 146, près d'un chemin venant de Laval-sur-Tourbe depuis la cote 148 (l'arbre étant situé entre ce village et la cote 146). Il est logique de penser que le vaguemestre venait de ce côté, et non du nord du secteur.
Cette théorie est confirmée en 2018 par la découverte, en brocante, d'un canevas de tir concernant le secteur de Tahure, et comportant au verso, une carte des cheminements utilisés par les troupes françaises: à Laval-sur-Tourbe, le tracé du cheminement vers les premières lignes passe bien par l'emplacement de l'Arbre et la cote 146, selon un axe sud-est / nord-ouest.
La cote 146 et l'Arbre, près de Laval-sur-Tourbe |
Apollinaire voit aussi un soldat asphyxié par les gaz, des servants de batterie qui s'occupent de leur pièce, des soldats fabriquant des cercueils, des croix (les cimetières militaires étaient déjà bien remplis dans le secteur de Laval-sur-Tourbe), des Hindous mélancoliques. Pour ces derniers, c'est une allusion aux soldats coloniaux dont certains venaient des comptoirs français d’Inde, notamment de Chandernagor, et qui combattirent en Argonne et à Verdun en 1916, ou bien aux cipayes de l'armée des Indes qui combattaient avec les Anglais, mais leur présence n'est pas attestée en Champagne en 1915.
Il mentionne un espion qui se dissimulerait dans le secteur, dans un paysage de sapins déchiquetés. Il évoque aussi les boyaux allemands (ceux de Goethe, Nietzsche et Cologne) bombardés par sa batterie, et qui ont été hachés (allusion au bombardement du 24 septembre 1915 lorsque sa batterie tira 387 obus sur un secteur de 50 m sur 100 m de la Butte de Tahure) ainsi que l'art du camouflage car "on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité". Il s'agit donc d'une description de la guerre, avec les éléments que nous avons présentés plus haut.
Une "saucisse" qui ressemble vraiment à un asticot (Neuville-au-Pont dans la Marne, juin 1916) |
Cette vue du front se mêle à la rêverie. Le poète observe les alentours de son abri, avec sa selle trempée par la pluie, tout en rêvant à Madeleine Pagès, son grand amour, qui habitait à Oran en Algérie et à son demi-frère Albert, alors à Mexico, éloignés de lui par l'océan Atlantique (avec le Gulf Stream) et la Méditerranée, espaces maritimes dans lesquels rôdent les sous-marins allemands, première menace contre les êtres aimés évoquée dans le texte. Le poète s'inquiétait de la présence des sous-marins allemands lorsque Madeleine se rendait en France; de même, le navire d’Apollinaire, qui partit en Algérie pour voir Madeleine Pagès à la fin de 1915, était escorté en raison de ces sous-marins.
L'autre menace présente dans le poème est la révolution mexicaine, avec les manifestations à Mexico, qui font allusion à l'entrée des troupes de Zapata et de Pancho Villa dans la ville en novembre 1914. Le poète, dans sa première lettre à Lou du 2 février 1915, écrite à Nîmes, s'inquiétait déjà de la rareté des nouvelles données par Albert, qui ne lui avait pas écrit depuis un mois et demi, ainsi que des troubles survenus au Mexique. Cette lettre montre aussi le profond attachement qui liait Guillaume Apollinaire à son demi-frère. Le Mexique, pays dans lequel travaillait Albert de Kostrowitzky et l'Algérie où vivait Madeleine Pagès se confondent dans le vers "Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie" (le figuier de barbarie étant aussi l'emblème de Mexico).
Néanmoins, cet éloignement est relatif car Guillaume Apollinaire était relié à Madeleine Pagès et à Albert par la T.S.F. (c’était déjà le sujet de Lettre-Océan en 1914) dont étaient équipés les navires et par le courrier. Le poète, dans son abri, attend une lettre, rêve aux mains de sa fiancée qu'il aime profondément et regarde des photos de celle-ci. Il mentionne aussi l’artisanat de tranchée avec « l’encrier que j’avais fait dans une fusée de 15 centimètres », encrier que la poste militaire refusait d'expédier en raison de son poids et qu'Apollinaire dut envoyer en plusieurs morceaux (voir les lettres à Madeleine Pagès des 25 septembre et 6 octobre 1915 notamment). La T.S.F., les photos et le courrier sont donc des liens entre lui et les êtres aimés, de même que l'encrier, cadeau destiné à Madeleine Pagès, à la fois marque d'affection et symbole de la guerre (il était composé d'une fusée d'ogive et d'un culot d'obus de 77).
C’est donc tout l’univers du front de Champagne et l’expérience combattante d’Apollinaire qui transparaissent avec ce poème avec l’amour porté à Madeleine Pagès et l'affection pour son demi-frère Albert.
L’autre
poème important est Merveille de la
guerre. Apollinaire y dévoile sa fascination pour la guerre. Le front est
pour lui un univers extraordinaire, lié à la modernité du XXème siècle et fait de dangers et de paysages étranges. Il
admire d’abord les fusées :
« Que c’est beau ces fusées qui illuminent la
nuit »
Le
champ de bataille y est évoqué comme un dévoreur d’hommes; la bataille est un grand festin cannibale avec des tranchées, semblables à des bouches blanches, qui avaleraient les soldats; et le poète s'étonne qu'il faille autant de feu pour "rôtir le corps humain". Pourtant, Apollinaire s’y
fond complètement : « je suis
dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout » !
Dans
la Nuit d’Avril 1915, il décrit un
bombardement nocturne de l’artillerie allemande : « le ciel
est étoilé par les obus des Boches » qui passent en miaulant. Dans Fête, le bombardement devient « un feu d’artifice en acier » ;
deux obus fusants qui éclatent dans un éclair rose lui font penser à des seins
de femme.
Apollinaire "Maréchal des Logis au masque d'espérance" C'est une des aquarelles réalisées par le poète en convalescence en 1916 |
Mais Apollinaire aime se décrire en cavalier, agent de liaison parcourant le champ de bataille dans les Saisons, avec « Guy au galop » et L’adieu du cavalier, poème dans lequel se trouvent les vers :
« Ah Dieu ! Que la guerre est jolie
Avec ses chants ses
longs loisirs »
Ce
poème n’est pas une apologie de la guerre car Apollinaire a voulu montrer que
les soldats n’étaient pas toujours dans les tranchées ou auprès de leurs
canons. Il y avait de longs moments de repos dans les « villages
nègres » où les soldats pouvaient se détendre notamment avec l'artisanat de tranchée.
Dans Chant de l’honneur, la tranchée s’adresse aux soldats comme une femme :
Un moment de détente pour ces Poilus du 156ème Régiment d'Infanterie. Champagne, 1915. Collection particulière. |
Dans Chant de l’honneur, la tranchée s’adresse aux soldats comme une femme :
« O jeunes gens je m’offre à vous comme une
épouse »
Cette
admiration pour les fusées, les obus et les tranchées semble choquante
aujourd’hui, pourtant les sentiments d’Apollinaire étaient partagés par
d’autres soldats qui décrivent le front avec des mots identiques à ceux du poète. Ainsi Louis Viguier, dans Journal
de marche d’un biffin, publié en 2013 par les Editions Loubatières, écrit le 4 mars 1915 (p. 107), alors qu’il était en Champagne : « C’est un beau spectacle ; le front est jalonné par les chandelles. Une traînée de feu, une boule blanche qui éclate en trois étoiles, c'est une allemande. Les nôtres sont plus belles et aussi plus utiles ...».
Il décrit alors longuement les différents types de fusées employées à l’époque.
Maurice Bedel, qui se trouvait au col de la Schlucht, écrit dans son Journal de guerre (publié par Tallandier en 2013), le 2 février 1916 : « Que les nuits sont belles illuminées par les fusées ! Il semble que chaque soir une troupe d’habiles artificiers nous donne un spectacle sur la scène du Reichackerkopf. De la terrasse de la Schlucht nous voyons s'élever vers le ciel étoilé puis gracieusement s'incliner vers le sol obscur les furtives comètes des fusées lumineuses. Sommes-nous donc à quelque fête galante ? ... Vraiment l'heure est charmante des fusées et des étoiles, par les beaux soirs d'hiver de l'Alsace» (p. 364). Maurice Bedel évoque aussi l'ambiance joyeuse qui régnait dans les cantonnements proches des tranchées où "nous connaissons l'envol de l'esprit, libéré de la contrainte où le retient la peur des coups... Nous vivons en garçons ... libérés des soucis de la vie quotidienne..." (p. 364). Le 2 septembre 1916, il quitte le front français pour se rendre au Maroc avec des sentiments de regret (p. 428):
Maurice Bedel, qui se trouvait au col de la Schlucht, écrit dans son Journal de guerre (publié par Tallandier en 2013), le 2 février 1916 : « Que les nuits sont belles illuminées par les fusées ! Il semble que chaque soir une troupe d’habiles artificiers nous donne un spectacle sur la scène du Reichackerkopf. De la terrasse de la Schlucht nous voyons s'élever vers le ciel étoilé puis gracieusement s'incliner vers le sol obscur les furtives comètes des fusées lumineuses. Sommes-nous donc à quelque fête galante ? ... Vraiment l'heure est charmante des fusées et des étoiles, par les beaux soirs d'hiver de l'Alsace» (p. 364). Maurice Bedel évoque aussi l'ambiance joyeuse qui régnait dans les cantonnements proches des tranchées où "nous connaissons l'envol de l'esprit, libéré de la contrainte où le retient la peur des coups... Nous vivons en garçons ... libérés des soucis de la vie quotidienne..." (p. 364). Le 2 septembre 1916, il quitte le front français pour se rendre au Maroc avec des sentiments de regret (p. 428):
« Je sens aujourd'hui combien le danger m'était cher, avec quelle délicieuse angoisse je me laissais frôler par les balles, avec quel feu aux joues je m'offrais en cible de défi à l'obus maladroit et bruyant !... Hélas ! Ne t'entendrais-je donc plus jamais - plus jamais ? - hurlement forcené du percutant, miaulement enjôleur du fusant des petits canons ? Et toi, torpille ? O torpille de mon Reichackerkopf, monstre ailé, squale des airs, tonnerre des tonnerres, n'aurai-je donc plus la poitrine défoncée par les secousses dont tu ébranles les colonnes bleues de l'air d'Alsace ...
Enfer, je te salue.
Enfer, je te salue.
Enfer, j’ai adoré tes
flammes monstrueuses, j’ai moulé mon corps à tes boues hideuses, j’ai parfois
applaudi aux horreurs déchaînées par tes diables gris comme par tes diables
bleus.
Enfer, j’ai cru à ta
beauté et dans mon généreux délire je me suis cent fois offert en holocauste
sur tes autels.
Enfer, tu m'as élevé au-dessus des misères.
Hélas! Tu m'as élevé également au-dessus de la pitié.
Et cela, Enfer, je ne te le pardonnerai jamais. Je sors de tes flammes amoindri de toute la sensibilité que j'y ai perdue ».
Bien d'autres combattants ont décrit les mêmes impressions de fascination face à des bombardements (observés de loin...). Le 7 septembre 1914, Edouard Coeurdevey, alors à Montigny, dans l'Aisne, décrit le champ de bataille dans ses Carnets de guerre 1914-1918, éditions Terre Humaine, page 46 :
"Mais il y a quelque chose de plus passionnant que ces cadavres. J'entends le canon tonner à quelques kilomètres; on voit sur la crête, là-bas, qui borde l'Aisne, les obus allemands éclater. Des fermes en feu jalonnent la crête. Mon sang bout, c'est une vraie vision de guerre dans toute sa grande horreur. Je n'y tiens plus: comme j'ai achevé le cantonnement et que le convoi n'arrivera que dans plusieurs heures, à la nuit tombante, j'enfourche mon vélo et je vole à la crête pour mieux voir... C'est beau et terrible. Sur un front de quelque vingt kilomètres on voit les obus pleuvoir. Ils éclatent à une dizaine de mètres du sol, jettent une gerbe de feu puis un beau petit nuage blanc qui se déroule au vent comme un paquet de ouate fine étalé par d'invisibles mains. Çà et là, les hangars et les fermes sont en flammes et préparent l'illumination de la nuit".
Enfer, tu m'as élevé au-dessus des misères.
Hélas! Tu m'as élevé également au-dessus de la pitié.
Et cela, Enfer, je ne te le pardonnerai jamais. Je sors de tes flammes amoindri de toute la sensibilité que j'y ai perdue ».
Bien d'autres combattants ont décrit les mêmes impressions de fascination face à des bombardements (observés de loin...). Le 7 septembre 1914, Edouard Coeurdevey, alors à Montigny, dans l'Aisne, décrit le champ de bataille dans ses Carnets de guerre 1914-1918, éditions Terre Humaine, page 46 :
"Mais il y a quelque chose de plus passionnant que ces cadavres. J'entends le canon tonner à quelques kilomètres; on voit sur la crête, là-bas, qui borde l'Aisne, les obus allemands éclater. Des fermes en feu jalonnent la crête. Mon sang bout, c'est une vraie vision de guerre dans toute sa grande horreur. Je n'y tiens plus: comme j'ai achevé le cantonnement et que le convoi n'arrivera que dans plusieurs heures, à la nuit tombante, j'enfourche mon vélo et je vole à la crête pour mieux voir... C'est beau et terrible. Sur un front de quelque vingt kilomètres on voit les obus pleuvoir. Ils éclatent à une dizaine de mètres du sol, jettent une gerbe de feu puis un beau petit nuage blanc qui se déroule au vent comme un paquet de ouate fine étalé par d'invisibles mains. Çà et là, les hangars et les fermes sont en flammes et préparent l'illumination de la nuit".
Mêmes sentiments chez Marc Delfaud dans ses Carnets de guerre d'un hussard noir de la République, éditions italiques, 2009, à Verdun le 4 mai 1916 (page 348) lorsqu'il observe les tirs nocturnes de l'artillerie lourde française sur les positions allemandes:
"Le spectacle est grandiose: de notre côté, les Hauts de Meuse sont couronnés des éclairs ininterrompus jaillis de la gueule des pièces. C'est un concert formidable, aux notes graves et puissantes auquel participent tous les gros calibres. Du côté de l'ennemi, bien loin en arrière de la ligne de front que délimitent les éclairs des fusants, un village apparaît embrasé à une grande distance. A chaque seconde, le rougeoiement de l'incendie est avivé par les éclatements de grosses marmites, et à la lueur qu'elles projettent on aperçoit un nuage épais qui se traîne et couvre l'horizon".
Le 1er septembre 1916 (page 411), toujours à Verdun, il est sensible à la beauté des fusées: "A 21h45, les fusées s'élèvent plus nombreuses que d'usage derrière la crête de Fleury, puis aux fusées éclairantes se mêlent des fusées de toutes formes et de toutes couleurs. C'est un feu d'artifice merveilleux, un éblouissement de lumière".
Même Henri Barbusse, écrivain pacifiste, alors en Artois, écrivit à sa femme le 14 mai 1915:
"Au moment où nous atteignons la route de X... qui marque les approches de la ligne nouvelle, le ciel s'est illuminé de fusées: tout un feu d'artifice extraordinaire à tous les coins du ciel: des fusées étoiles, des fusées à feux rouges, à grappes, etc... qui sont des signaux spéciaux, puis un bombardement a commencé: de brusques éclairs qui illuminent toute la plaine: ce sont les coups de canon, les départs; d'autres plus rouges, ce sont des éclatements, les arrivées. Il y en avait du côté allemand et du côté français. C'était un fracas éblouissant, une vraie apothéose terrible de féerie".
(Lettres de Henri Barbusse à sa femme, 1914-1917, Flammarion, 1937, p. 118).
"Le spectacle est grandiose: de notre côté, les Hauts de Meuse sont couronnés des éclairs ininterrompus jaillis de la gueule des pièces. C'est un concert formidable, aux notes graves et puissantes auquel participent tous les gros calibres. Du côté de l'ennemi, bien loin en arrière de la ligne de front que délimitent les éclairs des fusants, un village apparaît embrasé à une grande distance. A chaque seconde, le rougeoiement de l'incendie est avivé par les éclatements de grosses marmites, et à la lueur qu'elles projettent on aperçoit un nuage épais qui se traîne et couvre l'horizon".
Le 1er septembre 1916 (page 411), toujours à Verdun, il est sensible à la beauté des fusées: "A 21h45, les fusées s'élèvent plus nombreuses que d'usage derrière la crête de Fleury, puis aux fusées éclairantes se mêlent des fusées de toutes formes et de toutes couleurs. C'est un feu d'artifice merveilleux, un éblouissement de lumière".
Même Henri Barbusse, écrivain pacifiste, alors en Artois, écrivit à sa femme le 14 mai 1915:
"Au moment où nous atteignons la route de X... qui marque les approches de la ligne nouvelle, le ciel s'est illuminé de fusées: tout un feu d'artifice extraordinaire à tous les coins du ciel: des fusées étoiles, des fusées à feux rouges, à grappes, etc... qui sont des signaux spéciaux, puis un bombardement a commencé: de brusques éclairs qui illuminent toute la plaine: ce sont les coups de canon, les départs; d'autres plus rouges, ce sont des éclatements, les arrivées. Il y en avait du côté allemand et du côté français. C'était un fracas éblouissant, une vraie apothéose terrible de féerie".
(Lettres de Henri Barbusse à sa femme, 1914-1917, Flammarion, 1937, p. 118).
Pour
beaucoup de soldats de 14-18, les combats, si durs, ont été aussi une
expérience fascinante qu’Apollinaire a traduit dans un langage poétique très
riche et qui mériterait une étude poème par poème, vers par vers afin de
dégager tout le sens de cette poésie.
Guillaume Apollinaire, qui avait organisé sa succession en cas de mort au combat, se rendait bien compte des horreurs et des dangers de la guerre, décrites dans ses lettres avec de nombreux détails, mais avec un ton mêlant ironie et mélancolie, et son enthousiasme baissa en décembre 1915 lorsqu'il était en 1ère ligne dans l'infanterie. Sa correspondance montre son patriotisme et son sens du devoir en tant qu'officier.
Guillaume Apollinaire, qui avait organisé sa succession en cas de mort au combat, se rendait bien compte des horreurs et des dangers de la guerre, décrites dans ses lettres avec de nombreux détails, mais avec un ton mêlant ironie et mélancolie, et son enthousiasme baissa en décembre 1915 lorsqu'il était en 1ère ligne dans l'infanterie. Sa correspondance montre son patriotisme et son sens du devoir en tant qu'officier.
Enfin,
les élèves ont étudié deux tableaux évoquant l’artillerie en 14-18 en faisant
aussi une biographie de leurs auteurs :
-
« Canon en action » de Gino Severini, peintre italien futuriste, ami
de Guillaume Apollinaire (qui était son témoin à son mariage à Paris en 1913)
avec la figuration simultanée des impressions de mouvements de la pièce, de la
trajectoire des obus, des ordres de tir, du bruit et des odeurs.
- « Artillerie » de Roger de la Fresnaye, un peintre cubiste (le tableau est de 1911 mais l’équipement était le même en 1914, en notant au passage que les trois conducteurs de l’attelage ont déjà un casque, expérimenté à l’époque dans quelques régiments avant le casque Adrian de 1915).
Le Bois des Buttes (visite de 2010) |
Au
Bois des Buttes, le monument, élevé grâce à Yves Gibeau en 1990, commémore la
blessure d’Apollinaire le 17 mars 1916, avec un extrait de Rêverie (Poèmes à Lou):
« Dis l'as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était
militaire
Dis l'as-tu vu Gui au
galop
Du temps qu’il était
artiflot
A la guerre »
Apollinaire se trouvait dans un secteur exposé en contrebas du Chemin des Dames, avec de nombreux bombardements.
Le Bois des Buttes et son réseau de tranchées (L'Illustration du 23 juin 1917). |
Si l'on lit le Journal des Marches et Opérations du 96ème RI, il semblerait que la compagnie de Guillaume Apollinaire (la 6 ème) se trouvait au nord-ouest du secteur présenté par la carte du Bois des Buttes, dans la partie sud / sud-est du bois de Beau Marais (en mars 1916, la ligne de front n'était pas la même que celle de juin 1917), mais Apollinaire, dans sa correspondance, indique bien qu'il a été blessé au Bois des Buttes.
Vue générale du secteur Craonne - La Ville-aux-Bois. Le Bois de Beau Marais se trouve au sud-est de Craonne. |
Le JMO du 96ème RI avec la mention du sous-lieutenant Kostrowitzky blessé le 17 mars 1916. |
Le Mercure de France avec les éclaboussures de sang venant de la blessure de Guillaume Apollinaire |
Ainsi, Apollinaire a fait un lien très original entre guerre et création poétique, en s'inspirant de son expérience de soldat pour rédiger une oeuvre remarquable.
PROCHAINE ETAPE : Les élèves vont composer leurs propres calligrammes en s'inspirant du poème Il y a.
Regardez notre article du 11 mars 2015 dans lequel se trouvent les travaux des élèves et la bibliographie utilisée pour rédiger cet article.
Regardez notre article du 11 mars 2015 dans lequel se trouvent les travaux des élèves et la bibliographie utilisée pour rédiger cet article.
Jérôme JANCZUKIEWICZ et Nathalie LEFOLL