vendredi 16 janvier 2015

L'AVENTURE DU LIVRE

Le livre est le témoin de la culture d’un peuple, qui permet d’appréhender le passé, l’art, la poésie, la religion. Mais lorsqu'on lit un livre, on ne s’interroge pas sur son histoire, sa transmission, les dangers encourus, les civilisations traversées, les péripéties du manuscrit comme :

- la fragilité du papyrus, les limites des qualités des copistes…

- les découvertes de manuscrits comme les manuscrits de la Mer Morte (1947)…

Ainsi, les élèves latinistes étudient des textes composés il y a plus de 2000 ans !

Le livre manuscrit.

Dans l’Antiquité et encore au Moyen Age, lire et écrire sont des métiers : Pline l’Ancien a son lecteur, Cicéron et Saint Jérôme dictent les textes. Il faut insister sur l’importance de la dictée car l’écriture est une technique difficile et pénible (stylet ou calame, support rêche). 

Le support du livre est :
- le papyrus (la feuille = charta) qui est très cher et fragile (friable) ; cela fait « chic » de l’utiliser pour les livres (dont la Bible = biblion = livre en grec) et la correspondance.

- le parchemin (de la ville de Pergame) : une peau tannée de mouton, de chèvre dont la plus haute qualité est le vélin (peau de fœtus de veau mort-né), qui se répand au IVème siècle. Le parchemin est très résistant, on peut écrire sur les 2 faces du feuillet mais il a un aspect fruste (rigidité de la feuille, poils parfois), qui est compensé par un décor somptueux : la Genèse de Vienne ou l’Evangéliaire de Rossano sont écrits avec des lettres d’argent sur un fond pourpre.


Le papyrus forme un volumen: rouleau composé de feuilles collées bout à bout avec une étiquette au verso pour inscrire le titre. Le texte est disposé sur plusieurs colonnes étroites (= pagina, mot qui finit par désigner la partie écrite). Le volumen est très mal commode, devant être tenu à 2 mains, donc ne permettant pas la prise de note ou une lecture facile = un lecteur doit lire le livre ! Le livre s’écoute ! Le rouleau disparaît après le Vème siècle sauf pour les diplômes et les chartes.


Mosaïque du Bardo (Tunisie) avec Virgile.


Le parchemin forme un codex, de forme carrée, qui se répand au Vème siècle: les feuilles, sur lesquelles le texte est copié sur 2, 3, 4 colonnes, sont reliés en cahiers numérotés qui sont reliés entre eux. Enfin, le codex est protégé par une reliure sur ais de bois avec orfèvrerie (plus tard du cuir) et des éléments métalliques pour protéger le livre du frottement sur les rayons. Le codex est pratique et permet des lectures silencieuses (le lecteur disparaît).

Une fois le texte établi, un copiste va recopier le texte. Etre copiste demande une formation de 2 ans plus une solide culture générale car il faut comprendre le texte recopié (en général, il fait une ou deux fautes par page, certains plus…).

- Le copiste écrit sur une écritoire puis sur un pupitre avec le texte à recopier au dessus et la feuille en dessous.
- La concentration est forte : on ne peut exercer ce métier plus de 20 à 30 ans car la vue baisse et les rhumatismes frappent les mains
- Le texte est copié dans un cadrage avec une place pour le décor de la page.

En effet, le texte est copié à la suite, sans division ni chapitre, parfois il y a un sommaire.
Une belle initiale commence chaque page.
La ponctuation est limitée : un point, deux points ou un blanc pour séparer deux phrases.
Un incipit marque le début du livre ; l’explicit la fin de l’ouvrage.
Le copiste a parfois annoté son travail dans la marge des feuillets ; à la fin de son travail, il signe la copie (le colophon) avec parfois des formules pittoresques.





Pour économiser du temps et du parchemin, le copiste utilise des abréviations ; il doit aussi vérifier le texte mais il y a des fautes et avec un copiste ignorant le texte peut se corrompre (mots non compris) ou changer si le copiste a décidé de « corriger le style » qui ne lui plait pas !

Le travail de copiste convient bien aux moines qui copient les textes dans un scriptorium : c’est une source de revenus et de prestige pour l’abbaye (ex : Saint Germain des Prés).

On doit noter que l’écriture change avec les siècles :
- les textes sont d’abord copiés en majuscules (lettres capitales, onciales, semi onciales) puis en minuscules (carolines) au IXème siècle : c’est la translittération qui apporte un rythme à la lecture, une ponctuation, la division des pages mais aussi encore plus de fautes !
- les écritures sont aussi très diverses selon les pays (Allemagne, Irlande etc) ; elles s’uniformisent au XIIème siècle avec le gothique qui a de belles lettres larges, géométriques et qui sera utilisé jusqu’à Gutenberg et l’imprimerie.




La diffusion du livre se fait grâce aux libraires qui sont des copistes / vendeurs qui font écouler les copies en fonction de la demande.

L’auteur confie son manuscrit à un ami qui le fait connaître à un cercle éclairé, puis les copistes vendent les exemplaires au public. Ce système provoque l’existence de plusieurs variantes du texte (en fonction des amis de l’auteur), de textes publiés contre l’avis des auteurs, de falsifications ou interpolations (des extraits nouveaux sont insérés dans le texte d’origine), de faux ex : les Evangiles apocryphes, fausses chartes ou donations comme la fameuse Donation de Constantin qui est un faux du VIIIème siècle justifiant l’existence des Etats Pontificaux.

Le codex, lui, est décoré pour faire oublier le côté frustre du parchemin :

- Depuis l’époque carolingienne, il y a des enluminures ou peintures ou miniatures : ce sont des dessins somptueux qui accompagnent le texte en début de chapitre. Le dessin est réalisé avec des matières nobles (poudre d’or, pourpre, cochenille, oxydes, lapis-lazuli, gomme naturelle) et donc coûteuses, dans de grands centres comme Paris, Tours, Lyon. Les miniatures les plus magnifiques ont été réalisées vers 1410 par les frères de Limbourg (Pierre, Paul et Herman) pour le compte de Jean, duc de Berry, 1340-1416, 3ème fils du roi Jean II le Bon, dans Les Très Riches Heures du Duc de Berry, livre conservé au château de Chantilly : le livre d’heures est un livre de prières qui doivent être prononcées toute l’année à certaines heures. 

- la reliure reste aussi somptueuse : orfèvrerie, pierres semi-précieuses.

Le livre est donc un luxe : en 1373, certains livres de l’évêque de Beauvais atteignent 100 livres tournois (le tiers du revenu annuel d’un artisan), d’autres 50 livres tournois. Souvent, le livre est attaché aux rayons avec une chaîne pour éviter les vols !


 La révolution de l’imprimerie.



L’invention de l’imprimerie est liée à celle du papier, invention chinoise qui a suivi la Route de la Soie pour arriver en Andalousie au XIème siècle, en Sicile au XIIème siècle, en France au XIVème siècle : le papier en Europe est d’abord fait avec du textile broyé, puis passé dans une cuve, d’où son aspect raide et épais et ses qualités de blancheur (après 1870, on utilise la cellulose, qui jaunit et s’effrite).Mais l’imprimerie sur caractères mobiles vient de Jean Gutenberg (Gensfleish zur Laden), un Allemand issu d’une famille aristocratique; mais désargenté, il devient orfèvre. Il fabrique des caractères mobiles en plomb et étain pour composer un texte en métal, enduit d’encre, puis passé dans une presse pour imprimer le papier (d’où le nom de pages moulées).

En 1456 (?), il publie à Mayence la Bible à 42 lignes qui reste techniquement une prouesse. Très vite, son invention se diffuse dans la vallée du Rhin, puis en France et en Italie dans les années 1460-1470. Au début, il n’y a pas de rupture avec les livres manuscrits pour ne pas trop heurter copistes et libraires hostiles à la nouvelle invention : les incunables (en latin « langes », « berceau ») qui sont les livres imprimés entre 1450 et 1500, imitent les livres manuscrits avec les lettres gothiques, des enluminures, des initiales peintes. Ce n’est qu’après 1500 que la totalité de l’ouvrage est imprimée et le style des lettres change : le gothique est remplacé par les lettres humanistiques ou romaines (car utilisées en Italie).



Avantages du livre imprimé :

- son prix n’est que le tiers du livre manuscrit, et donc le savoir se démocratise auprès des couches plus modestes avec un nombre élevé d’exemplaires imprimés. Mais la majorité des livres sont des livres religieux imprimés en latin surtout la Bible (pas de traduction en langue vernaculaire pour le peuple qui ne dispose que de commentaires ou de résumés jusque dans les années 1520-1530).

- établissement d’un texte sûr, avec correction des fautes. Les érudits luttent contre la corruption du texte avec une méthode critique pour fixer le texte définitif (ex : les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés). En effet, la transmission du texte peut être directe (manuscrits, éditions anciennes qui ont disposé de manuscrits disparus par la suite) ou indirecte (traductions, citations, allusions). Il faut faire l’inventaire de tous les manuscrits d’un texte, faire la collation du texte puis procéder à l’établissement du texte soit avec un manuscrit unique (le texte alors a des fautes, des lacunes) ou divers manuscrits (il faut voir le style de l’auteur pour choisir entre les variantes). On peut découvrir des textes perdus avec les palimpsestes : ce sont des feuilles de parchemins grattées pour être réutilisées mais on voit l’ancien texte avec les ultra-violet. 

Jérôme Janczukiewicz et Nathalie Lefoll