Le livre est le témoin de la
culture d’un peuple, qui permet d’appréhender le passé, l’art, la poésie, la
religion. Mais lorsqu'on lit un livre, on ne s’interroge pas sur son histoire,
sa transmission, les dangers encourus, les civilisations traversées, les
péripéties du manuscrit comme :
- la fragilité du papyrus, les
limites des qualités des copistes…
- les découvertes de manuscrits comme les manuscrits de la
Mer Morte (1947)…
Ainsi, les élèves latinistes étudient des textes composés il y a plus de 2000 ans !
Le livre manuscrit.
Dans l’Antiquité et encore au Moyen Age, lire et écrire sont des métiers : Pline l’Ancien a son lecteur, Cicéron et Saint Jérôme dictent
les textes. Il faut insister sur l’importance de la dictée car
l’écriture est une technique difficile et pénible (stylet ou calame, support
rêche).
Le support du livre est :
- le papyrus (la feuille =
charta) qui est très cher et fragile (friable) ; cela fait
« chic » de l’utiliser pour les livres (dont la Bible = biblion
= livre en grec) et la correspondance.
- le parchemin (de la
ville de Pergame) : une peau tannée de mouton, de chèvre dont la plus
haute qualité est le vélin (peau de fœtus de veau mort-né), qui se répand au
IVème siècle. Le parchemin est très résistant, on peut écrire sur les 2 faces
du feuillet mais il a un aspect fruste (rigidité de la feuille, poils parfois),
qui est compensé par un décor somptueux : la Genèse de Vienne ou
l’Evangéliaire de Rossano sont écrits avec des lettres d’argent sur un fond
pourpre.
Le papyrus forme un volumen:
rouleau composé de feuilles collées bout à bout avec une étiquette au verso
pour inscrire le titre. Le texte est disposé sur plusieurs colonnes étroites (=
pagina, mot qui finit par désigner la partie écrite). Le volumen est
très mal commode, devant être tenu à 2 mains, donc ne permettant pas la prise
de note ou une lecture facile = un lecteur doit lire le livre ! Le livre
s’écoute ! Le rouleau disparaît
après le Vème siècle sauf pour les diplômes et les chartes.
Mosaïque du Bardo (Tunisie) avec Virgile. |
Le parchemin forme un codex,
de forme carrée, qui se répand au Vème siècle: les feuilles, sur lesquelles le texte
est copié sur 2, 3, 4 colonnes, sont reliés en cahiers numérotés qui sont
reliés entre eux. Enfin, le codex est protégé par une reliure sur ais de bois
avec orfèvrerie (plus tard du cuir) et des éléments métalliques pour protéger
le livre du frottement sur les rayons. Le codex est pratique et permet des
lectures silencieuses (le lecteur disparaît).
Une fois le texte établi, un
copiste va recopier le texte. Etre copiste demande une formation de 2 ans plus
une solide culture générale car il faut comprendre le texte recopié (en
général, il fait une ou deux fautes par page, certains plus…).
- Le copiste écrit sur une
écritoire puis sur un pupitre avec le texte à recopier au dessus et la feuille
en dessous.
- La concentration est
forte : on ne peut exercer ce métier plus de 20 à 30 ans car la vue baisse
et les rhumatismes frappent les mains
- Le texte est copié dans un
cadrage avec une place pour le décor de la page.
En effet, le texte est copié à la suite, sans division ni
chapitre, parfois il y a un sommaire.
Une belle initiale commence chaque page.
La ponctuation est limitée : un point, deux points ou
un blanc pour séparer deux phrases.
Un incipit marque le début du livre ; l’explicit
la fin de l’ouvrage.
Le copiste a parfois annoté son
travail dans la marge des feuillets ; à la fin de son travail, il signe la
copie (le colophon) avec parfois des formules pittoresques.
Pour économiser du temps et du
parchemin, le copiste utilise des abréviations ; il doit aussi vérifier le
texte mais il y a des fautes et avec un copiste ignorant le texte
peut se corrompre (mots non compris) ou changer si le copiste a décidé de
« corriger le style » qui ne lui plait pas !
Le travail de copiste convient
bien aux moines qui copient les textes dans un scriptorium :
c’est une source de revenus et de prestige pour l’abbaye (ex : Saint
Germain des Prés).
On doit noter que l’écriture
change avec les siècles :
- les textes sont d’abord copiés
en majuscules (lettres capitales, onciales, semi onciales) puis en minuscules
(carolines) au IXème siècle : c’est la
translittération qui apporte un rythme à la lecture, une ponctuation, la
division des pages mais aussi encore plus de fautes !
- les écritures sont aussi très
diverses selon les pays (Allemagne, Irlande etc) ; elles s’uniformisent au
XIIème siècle avec le gothique qui a de belles lettres larges, géométriques et
qui sera utilisé jusqu’à Gutenberg et l’imprimerie.
La diffusion du livre se fait
grâce aux libraires qui sont des copistes / vendeurs qui font écouler les
copies en fonction de la demande.
L’auteur confie son manuscrit à
un ami qui le fait connaître à un cercle éclairé, puis les copistes vendent les
exemplaires au public. Ce système provoque l’existence de plusieurs variantes
du texte (en fonction des amis de l’auteur), de textes publiés contre l’avis
des auteurs, de falsifications ou interpolations (des extraits nouveaux sont
insérés dans le texte d’origine), de faux ex : les Evangiles apocryphes,
fausses chartes ou donations comme la fameuse Donation de Constantin qui est un
faux du VIIIème siècle justifiant l’existence des Etats Pontificaux.
Le codex, lui, est décoré pour
faire oublier le côté frustre du parchemin :
- Depuis l’époque carolingienne,
il y a des enluminures ou peintures ou
miniatures : ce sont des dessins somptueux qui accompagnent le texte
en début de chapitre. Le dessin est réalisé avec des matières nobles (poudre
d’or, pourpre, cochenille, oxydes, lapis-lazuli, gomme naturelle) et donc
coûteuses, dans de grands centres comme Paris, Tours, Lyon. Les miniatures les
plus magnifiques ont été réalisées vers 1410 par les frères de Limbourg
(Pierre, Paul et Herman) pour le compte de Jean, duc de Berry, 1340-1416, 3ème
fils du roi Jean II le Bon, dans Les Très Riches Heures du Duc de Berry,
livre conservé au château de Chantilly : le livre d’heures est un livre de
prières qui doivent être prononcées toute l’année à certaines heures.
- la reliure reste
aussi somptueuse : orfèvrerie, pierres semi-précieuses.
Le livre est donc un luxe : en 1373, certains livres de
l’évêque de Beauvais atteignent 100 livres tournois (le tiers du revenu annuel
d’un artisan), d’autres 50 livres tournois. Souvent, le livre est attaché aux rayons avec une chaîne pour éviter les
vols !
La révolution de l’imprimerie.
L’invention de l’imprimerie est liée à celle du papier, invention
chinoise qui a suivi la Route de la Soie pour arriver en Andalousie au XIème
siècle, en Sicile au XIIème siècle, en France au XIVème siècle : le papier
en Europe est d’abord fait avec du textile broyé, puis passé dans une cuve,
d’où son aspect raide et épais et ses qualités de blancheur (après 1870, on
utilise la cellulose, qui jaunit et s’effrite).Mais l’imprimerie sur caractères
mobiles vient de Jean Gutenberg
(Gensfleish zur Laden), un Allemand issu d’une famille aristocratique; mais
désargenté, il devient orfèvre. Il fabrique des caractères mobiles en plomb et
étain pour composer un texte en métal, enduit d’encre, puis passé dans une
presse pour imprimer le papier (d’où le nom de pages moulées).
En 1456 (?), il publie à Mayence la
Bible à 42 lignes qui reste techniquement une prouesse. Très vite, son
invention se diffuse dans la vallée du Rhin, puis en France et en Italie dans
les années 1460-1470. Au début, il n’y a pas de rupture avec les livres
manuscrits pour ne pas trop heurter copistes et libraires hostiles à la
nouvelle invention : les incunables
(en latin « langes », « berceau ») qui sont les livres
imprimés entre 1450 et 1500, imitent les livres manuscrits avec les lettres
gothiques, des enluminures, des initiales peintes. Ce n’est qu’après 1500 que
la totalité de l’ouvrage est imprimée et le style des lettres change : le
gothique est remplacé par les lettres humanistiques ou romaines (car utilisées
en Italie).
Avantages du livre imprimé :
- son prix n’est que le tiers du livre manuscrit, et donc le savoir se démocratise auprès des
couches plus modestes avec un nombre élevé d’exemplaires imprimés. Mais la majorité des livres sont des livres religieux imprimés en
latin surtout la Bible (pas de traduction en langue vernaculaire pour le peuple
qui ne dispose que de commentaires ou de résumés jusque dans les années
1520-1530).
- établissement d’un texte sûr, avec correction des fautes. Les
érudits luttent contre la corruption du texte avec une méthode critique pour
fixer le texte définitif (ex : les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés).
En effet, la transmission du texte peut être directe (manuscrits, éditions anciennes
qui ont disposé de manuscrits disparus par la suite) ou indirecte (traductions,
citations, allusions). Il faut faire l’inventaire de tous les manuscrits d’un
texte, faire la collation du texte puis procéder à l’établissement du texte
soit avec un manuscrit unique (le texte alors a des fautes, des lacunes) ou
divers manuscrits (il faut voir le style de l’auteur pour choisir entre les
variantes). On peut découvrir des textes perdus avec les palimpsestes : ce sont des feuilles de parchemins grattées pour
être réutilisées mais on voit l’ancien texte avec les ultra-violet.
Jérôme Janczukiewicz et Nathalie Lefoll